La professionnalisation dans les CHRS par Jean-Christophe Panas
Partager un diagnostic de professionnalisation – 2 mai 2009
Il ne m’appartient pas de revenir sur le fait qu’il faille ou non introduire un plan de professionnalisation à l’intérieur des CHRS. Il ne m’appartient pas non plus de conceptualiser la notion de professionnalisation, laissant ce travail aux experts. En revanche, et c’est la moindre des choses, il m’appartient d’expliciter ma pratique de formateur face à ce besoin énoncé de professionnalisation au sein de CHRS ayant pris soin d’en formuler la demande et ayant été choisi pour participer à ce projet de formation expérimentale.
L’IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne a été retenu, il y a déjà maintenant cinq années pour professionnaliser les équipes encadrant les mineurs délinquants dans les CER, (centre éducatif renforcé). À cet effet, il fallut monter de toute pièce une stratégie de formation in vivo. En débutant cette nouvelle manière de former nous répondions à une demande collégiale consistant à rendre « professionnelle » une pratique d’accompagnement éducatif auprès de mineurs présentant de lourdes difficultés de comportement. Ces centres connaissaient à cette époque un important déficit de personnels spécialisés.
Pour répondre à cette demande, il importait tout d’abord de définir le champ professionnel de cette intervention. L’accompagnement en CER était qualifié de nouveau métier. Ce concept générique gênait l’approche de cette formation dans la mesure où il était difficile de s’appuyer sur une profession existante.
En pariant qu’il s’agissait avant tout de renforcer l’éducation et en nous appuyant sur le récent référentiel professionnel d’éducateur spécialisé, nous ne prenions pas grand risque. Le travail de professionnalisation consistait donc à différencier éducation spécialisée d’éducation renforcée. Avant de différencier, il fallait identifier la part commune liée à l’accompagnement des mineurs leur permettant d’accepter d’entrer à leur rythme dans un projet de société basé sur l’autodiscipline, l’autonomie socio-économique mais aussi affective.
L’ordre était peu important puisqu’il s’agissait avant toute chose de vérifier si les équipes qui encadraient ces jeunes étaient en capacité de comprendre leur mission et d’en déduire leur rôle professionnel. Leur mission était naturellement déterminée par le cahier des charges du CER et par le projet de l’association. Leur rôle se devait de construire une réponse éducative typique face à aux attentes typiques de ces jeunes. Il fallait donc monter une stratégie pédagogique qui facilite cette double compréhension : compréhension du système social dans lequel est initié une politique de CER et compréhension du rôle éducatif spécifique par les problèmes de socialisation posés par les usagers.
Que connaissaient les équipes à ce sujet ? Probablement rien de plus que moi. Il nous fallait apprendre à connaître et à comprendre ensemble. La méthode pédagogique de la professionnalisation se faisait ici jour.
Sans revenir sur le résultat de cette expérience, la question qui nous est posée aujourd’hui est sensiblement la même, si ce n’est qu’au lieu d’avoir des mineurs en voie de désocialisation, les CHRS sont confrontés à s’occuper de majeurs en difficulté d’hébergement. La mission est telle purement de l’ordre d’une simple médiation sociale ou s’avère t-elle plus compliquée qu’elle n’y paraît en terme d’accompagnement ?
Répondre à cette question implique de comprendre avec les professionnels qui sont les personnes hébergées et quels sont leurs besoins. Rien en la matière ne peut se décréter. Recueillir la connaissance des professionnels à ce sujet est une étape indispensable. Cette étape permet de comprendre comment les personnes hébergées sont appréciées, identifiées et reconnues dans leur besoin spécifique. La professionnalisation consiste à partir de ce diagnostic de continuer à développer le processus de compréhension.
Chaque CHRS est à un point différent de prise de conscience ou de développement de sa connaissance des personnes et des réponses qu’il convient d’y apporter. La formation va aider à la formalisation de cette connaissance et de la pratique qui vient en réponse à cette connaissance.
Après cette première étape de diagnostic à partir de trois CHRS, il est possible de distinguer globalement deux grandes populations :
Une population pour qui il n’existerait hypothétiquement qu’un simple problème d’accès à un logement.
Une population pour laquelle l’accès à un logement est devenu en quelque sorte l’arbre qui cache la forêt. Il y aurait alors à parier que nous trouverions ici une sorte de continuité entre des mineurs en difficulté de socialisation et des adultes en difficulté de socialisation.
Sont-ce strictement les mêmes personnes ? Pour une part oui, puisque nombre de personnes accueillies en CHRS semblent avoir un passé institutionnel assez conséquent. Mais nous manquons véritablement de données fiables à ce sujet. Pour autant, ce qui frappe l’esprit c’est la similitude des objets sur lesquels doivent travailler les équipes pour mener à bien leur accompagnement :
1. Propreté des chambres et des lieux collectifs
2. Hygiène corporelle
3. Régulation des addictions
4. Régulation des violences
5. Régulation de l’alimentation
6. Régulation de la vie affective et sexuelle
7. Accès à un logement
8. Sortie d’un hébergement
9. Gestion d’une économie raisonnée
10. Gestion autonome d’un logement
11. Acceptation et définition d’un projet professionnel
12. Acceptation de sa situation familiale
À la base de cette vie en collectivité ou en communauté, l’apprentissage ou le retour à l’appropriation d’un espace temps socialisé fait force de loi. Sans conscience du temps et de la logique symbolique des espaces, il n’est pas possible d’accéder de façon intégrée pour soi-même et par soi-même aux éléments structurels fondateurs du système de notre vie en société.
En première conclusion, la mission en CHRS vise pour une partie de cette population à cette adaptation sociale.
Inutile de dire qu’il s’agit d’une mission impossible en 90 jours. C’est donc autour du concept de stabilisation que le diagnostic de professionnalisation s’est orienté, partant du postulat que la résolution simple de l’accès au logement ne nécessitait pas une ingénierie de formation aussi sophistiquée que celle déployée par la professionnalisation.
Au mieux, un service hébergement au sein d’un CHRS suffisait amplement. Un apport de connaissances juridiques adapté et une initiation au réseau de l’accès au logement pouvait éventuellement alors suffire.
En revanche, en prenant le risque de nous attaquer à la professionnalisation des équipes chargées de piloter ce type de population au sein d’unité d’hébergement, un champ totalement nouveau d’accompagnement des adultes en situation d’errance se cherchait. Autour du concept de stabilisation se pose une série de questions dont la réponse ne se produira que par un travail collectif impliquant une sérieuse reformulation des connaissances et des pratiques. Trois grandes questions se dégagent ici ?
1. Quelles sont et qui sont les personnes concernées ?
2. Quel type d’accompagnement peut-on mener auprès de ces personnes au quotidien ?
3. Quel partenariat doit-on solliciter ?
Mettre au travail ces questions suppose que l’on soit débarrassé des problèmes classiques de management institutionnel et que l’équipe soit dans un désir de professionnalisation. Il s’agit ici du préalable minimum. En de ça, le travail est impossible. Dès lors que le formateur doit se charger de la mobilisation des équipes, il entre dans un travail classique de consultant chargé plus ou moins de déminer des problèmes de management.
Or, dans le contexte de la professionnalisation, le challenge est tout autre. Il s’agit d’être en capacité d’accompagner le pilotage d’une action collective chargée de stabiliser des personnes plus ou moins en errance dans leur processus de vie.
En contre point, le concept de professionnalisation n’est pas sans renvoyer à une certaine revendication de faire un « métier difficile avec des personnes dont personne ne veut s’occuper ».
Quel est le meilleur outil ? L’entretien, la sollicitude à la vie quotidienne, l’activité manuelle, la recherche d’un emploi, la construction d’un réseau de partenaires ?
Poser ces questions revient à initier une déconstruction pédagogique. C’est l’acceptation de cette réflexion collective et de sa prise en compte permettant de formaliser le projet d’hébergement qui fera ou non professionnalisation. Le désir de métier est donc au cœur de cette action de professionnalisation.
Déconstruire ne veut pas dire démolir. Déconstruire veut dire prendre du temps de poser des questions au sujet de ces différents objets en revenant avec méthode sur ces pratiques, chaque CHRS ayant son mode d’entrée spécifique. La phase de diagnostic partagée est justement construite pour prendre la mesure de l’entrée dans ce processus institutionnel. Ainsi avec les trois CHRS concernés, trois questions se dégagent spécifiquement.
1ère question – L’entretien est-il la façon la plus pertinente pour faciliter le processus de stabilisation des personnes ou ne faut-il pas revenir sur la prise en compte de la gestion de la vie quotidienne avec tout ce que cela implique d’accompagnement de la vie quotidienne ? À savoir :
1. L’aide à la gestion de la vie quotidienne.
2. Régulation des entrées et sorties des personnes invitées.
3. Respect du règlement.
4. Prise en compte des problèmes d’addiction.
5. Prise en compte des carences affectives, formatives et professionnelles.
2ème question – Le partenariat est-il la seule réponse alors que la connaissance globale et personnelle des personnes hébergées est encore à l’état d’ébauche ? Pour initier un partenariat, faut-il encore pouvoir reconnaître avec la personne concernée sa problématique de vie et le processus qui l’a conduit à venir en CHRS. Le CHRS est-il un plus, est-il un moins. Venir de la rue et entrer en CHRS n’est certainement pas la même chose que d’occuper un poste à responsabilité à l’Education nationale et entrer en CHRS en n’ayant plus de travail et de foyer.
Initier ce processus c’est mettre en œuvre une stratégie de connaissance de la personne qui prenne en compte discrètement son processus de vie, mais qui le prenne en compte comme un travail nécessaire en réponse au concept de stabilisation. Si l’on veut éviter que le concept de stabilisation ne se transforme en aliénation, il faut contractualiser une méthode de résolution des problèmes. Il faut donc construire une approche professionnelle permettant de connaître la personne, tout en étant respectueux de son passé. Développer une connaissance par le biais de la vie ensemble au quotidien est certainement une stratégie à encourager. Construire une méthodologie propre à spécifier la connaissance individuelle des personnes permet de lier pratique et conceptualisation sans les segmenter. Nous sommes ici dans une pratique intégrée.
3ème question. Peut-on revenir sur l’observation du quotidien ensemble en équipe, au risque de prendre la mesure que tout le monde n’a pas la même perception de la réalité ?
Il est par exemple pour le moins surprenant que la poubelle d’une chambre de six résidents soit observé comme pratiquement vide un matin et que ce même matin une autre personne ait vu une poubelle remplie de cannettes de bière. Le problème est délicat à soulever, le problème est délicat à traiter. Chacun peut le comprendre.
Ces trois grands axes qui sont au travail dans les trois CHRS pour lesquels nous avons une mission de professionnalisation débordent le cadre d’une formation classique au sein d’un IRTS ou d’une analyse des pratiques focalisées sur les interactions relationnelles.
La professionnalisation, sans se substituer aux décideurs, doit pourtant construire avec eux et leurs équipes, une méthodologie qui ramène :
1. Du cadre, afin que stabilisation ne se confonde pas avec asile.
2. De la précision dans l’observation afin que stabilisation s’inscrive dans la continuité et le développement du processus de la personne et non dans la répétition de celui-ci.
3. Un ajustement des pratiques susceptible de s’adapter aux capacités du public accueilli afin que stabilisation conjugue développement d’un projet personnel et accompagnement relationnel de la personne hébergée.
Tout ceci ne peut donc se concevoir sans un solide diagnostic partagé. Trois CHRS, trois demandes différentes.