Intervention – Le jeu vidéo à l’Espace ludique Marcel Aymé. Issy-les-Moulineaux – Julie Brégeot
L’IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne & l’Université Paris 13-SPC [[Le CRIDAF – Centre de recherches interculturelles sur les domaines anglophones et francophones & l’UFR LSHS – Lettres sciences de l’homme et des sociétés – / Pléiade – Centre de recherche pluridisciplinaire en lettres, sciences de l’homme et des sociétés.]] ont organisé une journée d’étude le 21 novembre 2013, sur le site de Neuilly-sur-Marne intitulée Jeux électroniques et inclusion sociale.
Quelles réponses du travail social à ces phénomènes de la société moderne ? Quels usages éducatifs et sociaux des jeux ?
Avec le soutien du Forum Jeu et Société, présidé à UP13-SPC par Mme Elisabeth Belmas.
Julie Brégeot est ludothécaire référente du secteur partenaire, espace ludique Marcel Aymé, Issy-les-Moulineaux.
Intervention de Julie Brégeot
Le jeu vidéo à l’Espace Ludique Marcel Aymé – Issy-les-Moulineaux
Quelles formes de socialisation ? Quels liens avec les familles ?
A l’Espace ludique Marcel Aymé, le jeu vidéo est avant tout considéré comme une activité de jeu, en cela il bénéficie d’un travail de veille, de réflexion, d’aménagement et de médiation propre à favoriser des expériences ludiques de qualité. Le donner à jouer est ainsi au cœur d’un projet de service à l’engagement fort.
Quelques années après son ouverture, l’observation du public agissant dans la structure, et plus particulièrement autour des jeux vidéo, nous permet de témoigner ici de la socialisation et l’apprentissage informel à l’œuvre à l’Espace ludique Marcel Aymé.
**Un lieu dédié à l’activité ludique, tourné vers l’accueil et l’innovation
L’Espace ludique Marcel Aymé est une structure de 350 m² entièrement dédié au jeu – jouets, jeux de société, jeux vidéo. Ouvert depuis 2010, il est venu compléter l’offre culturelle ludique de la ville d’Issy-les-Moulineaux qui comptait déjà une ludothèque municipale depuis 1986, et le Musée français de la carte à jouer depuis 1981.
Du point de vue de la politique ville il s’agissait à la fois d’implanter un espace culturel dans un quartier en transition, à la fois de proposer un établissement innovant. L’Espace ludique se distingue ainsi de la ludothèque municipale sur trois éléments principaux :
– le projet est entièrement tourné vers l’accueil, l’accent est mis sur la médiation et le jeu sur place, l’activité de prêt restant l’exclusivité de la ludothèque
– l’amplitude horaire importante offre plus de 32 h d’ouverture par semaine – et jusqu’à 40 h en comptant les accueils dédiés aux partenariats spécifiques
– un espace multimédia adapté a été implanté au cœur de la structure contenant des supports de jeu variés destinés au public :
6 ordinateurs (PC)
1 espace console de salon avec un grand écran (Wii U et Xbox 360-Kinect)
4 tablettes tactiles (IPad)
1 Nintendo 2DS
1 Nintendo 3DS
1 Play Station Portable (PSP)
1 Mobigo 2 (V-Tech)
Le projet de service des Espaces ludiques isséens – regroupant la ludothèque municipale et l’Espace ludique Marcel Aymé – met l’accent sur l’importance de traiter le jeu vidéo comme un jeu à part entière. Et en conséquence de le mettre à la disposition du public d’une façon, non pas identique car ce serait méconnaitre ses particularités, mais bien, équivalente. Ainsi, comme c’est le cas pour les jeux de société et les jouets, une politique d’accueil et d’acquisition sont élaborées.
La collection est constituée de titres dont l’intérêt est justifié par le bénéfice ludique. Elle est basée sur des critères tel que : l’innovation proposée, la qualité graphique, la mécanique, la jouabilité, et surtout le plaisir de jeu. En bref, des jeux qui permettent de proposer des expériences vidéo-ludiques riches à différentes tranches d’âges et de manières variées.
L’accueil est lui penser autour de grands objectifs : favoriser le jeu entre les générations, développer une culture vidéoludique du public et apporter des éléments de compréhension du média.
L’espace multimédia n’a aucunement l’objectif de remplacer les propositions de manipulations classiques, ni même les jeux de société. Au contraire la structure s’attache à proposer des regards croisés en proposant par exemple de découvrir des jeux aux systèmes similaires sur différents supports, voir même des jeux en carton, et leur version numérique. Cependant il entend profiter pleinement des innovations ludiques que proposent ces supports numériques. Grâce à cette idée générale du jeu comme activité entière et essentielle, l’équipe de l’Espace ludique intervient dans un discours général de valorisation du jeu vidéo auprès du public. Il est également un lieu de sensibilisation et de dialogue à propose des risques liés à un usage abusif ou non adapté de ces jeux.
**La socialisation dans l’espace multimédia
L’aménagement de l’espace multimédia, les supports et les jeux variés, ainsi que la médiation bienveillante des ludothécaires permettent aux joueurs en recherche de socialisation de trouver des situations propices à l’échange et à la rencontre.
Ces échanges peuvent avoirs différents points de départs, mais à chaque fois le jeu vidéo peut-être identifié comme le support clé de cette socialisation. Ainsi, le partage autour du jeu est, au-delà du jeu, un moyen pour l’adulte ou l’enfant de se rencontrer l’un et l’autre.
Nous observons à l’Espace ludique des situations types qui peuvent être distinguées comme suit. Soit les joueurs se connaissent déjà, en dehors de la structure, ils sont peut-être même venus ensemble et peuvent-être issus de la même famille, du même immeuble, de la même école, etc. Soit ils se rencontrent dans la structure.
Dans le premier cas, le jeu vidéo en tant qu’activité partagée va leur permettre de continuer à définir les contours de leur groupe social, de créer et partager une culture commune, d’en affirmer leur appartenance. Le plus souvent, ils adoptent une attitude de groupe, découvrent des jeux ensembles et se forgent facilement un avis collectif. Parfois, grâce à la proximité des supports, ils s’orientent vers des choix différents, pratiquent chacun des expériences de jeux et échanger à ce propos.
Ce type de pratique concerne principalement les groupes de paires – enfants d’âges rapprochés sinon identiques – ; les adultes et les enfants d’une même famille; et les adultes en situation professionnelle – éducateur, animateur, assistant maternelle… – et les enfants sous leur responsabilité.
Dans le second cas c’est l’intérêt commun qui est au cœur du rapprochement et qui appelle le dialogue, la reconnaissance mutuelle, et la mise en œuvre d’une nouvelle hiérarchie de rapport basé sur l’expertise face au jeu. Un partage de savoirs et de compétences, exercé dans un premier temps dans le cadre du jeu, s’étend le plus souvent d’abord à d’autres jeux, puis à d’autres sujets. Quand les liens qui se créés sont suffisamment fort, le groupe éphémère ainsi créée continue à fréquenter la structure autant pour s’y retrouver que pour continuer à approfondir sa découverte d’un jeu, d’un univers.
Cette fois encore la pratique concerne bien sur les groupes de pairs; les adultes et enfants d’une même famille; mais également les adultes et les enfants sans lien a priori. Ces derniers cas sont tout particulièrement intéressant car ils semblent n’être nés que grâce à la proposition faite. En effet, si pour les premiers (pairs et familles) le jeu facilite et porte les échanges, la rencontre, elle, aurait probablement lieu dans tous les cas. Pour les derniers elle semble conditionnée à la possibilité offerte dans le cadre de l’Espace ludique.
Si certains titres proposés sont plus facilement partagés par le fait qu’ils se jouent à plusieurs sur un support, ou en réseau, des jeux a priori individuels peuvent être tout autant source de partage et d’échanges.
**Comment accompagner le jeu vidéo ?
Tout comme pour les supports traditionnels de jeu, le jeu vidéo tel qu’il est proposé à l’Espace ludique requiert une médiation pour laquelle les ludothécaires développent des compétences appropriées. Elles leurs permettent de mettre en œuvre un accompagnement individualisé grâce à une meilleure identification des besoins. Ces savoir-être et savoir-faire sont des pistes à explorer pour les autres professionnels qui s’intéressent au jeu vidéo.
Tout d’abord, développer une connaissance des jeux est un atout essentiel. A l’Espace ludique, la coordination du secteur multimédia est assurée par un référent. Il a notamment pour mission de mettre à disposition de l’ensemble de l’équipe les outils lui permettant une prise en main des supports de jeu – ordinateurs, consoles, tablettes – et des jeux. Il permet l’engagement et la formation continue de l’équipe. _ L’enjeu principal est que chaque ludothécaire soit à même de comprendre et de véhiculer l’intérêt ludique d’un titre et donc d’accompagner le public dans son initiation, voire tout au long de sa pratique. Au-delà de ces goûts personnels.
Favoriser la bienveillance à l’égard des différents jeux permet de répondre à l’incompréhension qui peut exister entre adultes et enfants. A travers l’invitation au jeu et un discours positif, les ludothécaires valorisent l’activité des joueurs. Grâce à ces échanges, les adultes peuvent mieux appréhender l’intérêt des jeux vidéo : les compétences qu’ils valorisent, leurs univers, leurs temporalités spécifiques, etc. Ils peuvent également s’assurer que le jeu proposé soit adapté au stade de développement du joueur enfant, à ses réelles capacités, à son niveau de maturité. Le vécu du jeu peut ainsi être optimisé par la présence d’adultes en situation d’observation et de partage, qui apportent de l’affection, de la tendresse ou simplement de l’encouragement.
Cependant il est également nécessaire de laisser une place à l’autonomie ou la pratique solitaire en assurant un espace calme et tranquille au joueur qui en a besoin. Par l’observation la prise de recul, il est plus facile de prendre une place adapté, à proximité ou en retrait.
Valoriser la curiosité et la découverte à travers des projets ponctuels ou de long terme. La programmation de jeux originaux, offrant des univers graphiques variés et des ancrages culturels diversifiés fait se côtoyer de grands succès commerciaux et des jeux indépendants.
Régulièrement, des propositions d’initiations aux nouveaux supports ludiques, ou autour du rétro-gaming sont susceptibles de donner envie aux adultes de partager les jeux ainsi découverts. Abandonnant une posture en retrait, souvent lié à un sentiment d’incompétence – je n’y comprends rien, je suis nul – ils reprennent une position active et sont force de proposition.
Transmettre les règles inscrites au règlement intérieur et dans la charte. Face à un jeu de train en bois comme face à un jeu vidéo, préserver le jeu ne veux pas dire ne jamais intervenir. Ainsi quand le joueur ne joue plus, ou quand son activité empêche le jeu des autres, quand les règles du partage de l’espace public sont brisées, alors le ludothécaire interagit avec les joueurs pour revenir à une situation normale. Cela peut passer par l’arrêt temporaire imposé du jeu pour y revenir dans de meilleures conditions.
Parce que l’intérêt du jeu a été pris en compte, parce que le dialogue existe autour de cette activité, parce que la pratique est valorisée, alors le cadre qu’il s’agit de poser, est mieux accepté.
Les ludothécaires sont sollicités et écoutés sur des éléments très pratiques qui questionnent les adultes – temps de jeu, âges minimum, … –. Les règles établies, et transmises aux enfants et aux adultes, servent souvent de pistes pour les parents qui n’avaient pas su les formuler ou les faire respecter dans l’espace privé. Ce qui est appris au sein de la structure peut facilement être réutilisé à la maison.
Apaiser le public et le rassurer sur l’accès au jeu. Les ludothécaires accueillent à la fois les craintes face à l’univers des jeux vidéo et l’angoisse de ne pas voir son enfant profiter suffisamment vite. En profitant que tous les supports soient occupés ils peuvent pour encourager l’observation et l’échange autour du jeu des autres. Ils privilégient les joueurs en action et assurent aux autres un temps de jeu propre, plus tard. Enfin ils ouvrent des pistes pour que l’enfant puisse se diriger vers ce qui l’intéresse, sans se limiter à ce que son accompagnateur aimerait le voir faire.
Découvrir le programme de la journée Jeux électroniques et inclusion sociale
Photos – ©Anne Bernard & Marie Christine Girod – IRTS 2013
Saisie des enregistrements – Ingrid Mathieu – IRTS 2014