Jean-Philippe Debrus, l’ébéniste

Petit, c’était le flou complet, c’est ce qu’il répond à la question “Que vouliez-vous faire comme métier quand vous étiez petit ?” Bien qu’il n’aime pas trop évoquer cette question préférant regarder de l’avant… à l’école, les maths, la physique… ça ne marche pas, sauf en français. Il n’accroche pas bien du tout avec la pédagogie ambiante. C’est sans rancœur, ça l’amuse plutôt. Jean-Philippe précise : je n’étais pas rentré dans le moule scolaire standard. On m’a dit “après la 3ème, jeune homme, il faut aller dans le technique parce que vous ne ferez jamais rien”. Il sera d’ailleurs le seul de la fratrie à ne pas aller jusqu’au BAC.
Ébéniste à priori, ça lui plaisait. Il découvre alors le travail du bois, il trouve ça super. Il a le souci du détail, du travail bien fait, il a du doigté. Il passe son CAP en 2 ans (au lieu de 3, une place s’était libérée). Il obtient ensuite son Brevet de technicien au Lycée National du bois de Mouchard (Jura).
Tout va très bien pour Jean-Philippe pendant 8 années. Il exerce peu son métier d’ébéniste, très vite il travaille au bureau d’études de l’entreprise, puis à la conception de mobilier, ensuite à l’agencement et enfin à l’architecture d’intérieur.
A presque 30 ans, Jean-Philippe est licencié pour raison économique.
L’ébéniste, éducateur de jeunes
C’est un de ses amis, éducateur spécialisé qui, quittant son poste, le présente en 1996 au Directeur d’une maison d’enfants. Si tu fais tes preuves tu pourras faire fonction d’éducateur spécialisé. Il a son expérience d’animateur (colos, camps de jeunes…) et puis il a commencé à grandir avec la vingtaine de jeunes et ados accueillis dans la maison d’enfants que sa mère dirigeait. Comme ça se faisait à l’époque, dans les années 60, on vivait sur place, les professionnels n’étaient par toujours formés… l’argent pour les salaires pouvait manquer…
Il est embauché.
Je rame un peu, j’en profite pour lire des bouquins, pour acquérir la culture professionnelle. Au bout de 5 ans, ça devient compliqué, il me faut sortir de ce statut un peu précaire. Il demande avec insistance, années après années, d’entrer en formation. Ça n’était pas facile pour cette petite structure. C’est l’employeur qui trouve la solution financière, il lui fait confiance. Juste après, il sait qu’il pourra faire “la passerelle en 1 ou 2 ans” pour obtenir le diplôme d’État d’éducateur spécialisé…
Il entre alors pour 2 ans en formation moniteur-éducateur, en situation d’emploi, à Neuilly-sur-Marne (ISIS). Là, c’est ce qui va poser le socle, les bases solides pour toute la suite, les enseignements sont très pertinents, la formation est parfaitement adaptée mes demandes.
L’ébéniste, chef de service auprès d’adultes déficients intellectuels
Il obtient son Certificat d’aptitude aux fonctions de moniteur-éducateur.
Je ne veux pas en rester là, 7ans dans la même maison, c’était enrichissant… mais je change de secteur, je postule dans le secteur médico-social, en précisant que je veux passer le cran au dessus, valider mes savoir-faire…
Là, vraiment je m’éclate auprès d’adultes déficients intellectuels.
Le Directeur me repère et c’est grâce à lui, par le programme d’intervention pour la qualification – PIQ – que le financement de la formation est trouvé.
Jean-Philippe ne choisit pas la formation “passerelle”, il est heureux de s’engager sur 3 ans, à la préparation du diplôme d’État d’éducateur spécialisé avec la Licence AES (Administration économique et sociale) et toujours à l’IRTS.
Là, c’est compliqué, malgré les allègements de formation, il y a les trajets, les écrits professionnels, l’implication sur le lieu de travail, la vie matérielle à assurer…
Il rédige pour le diplôme d’éducateur spécialisé qu’il obtient en 2006, un mémoire assez remarquable intitulé Habiter chez-soi – Habiter chez-nous – Les variations éducatives autour de l’aménagement intérieur comme vecteur de la mise en œuvre du projet pédagogique. J’en avais utilisé, à l’époque, certaines parties comme support de cours pour la formation de moniteur-éducateur, avec son autorisation mais sans le connaître.
10 ans sont passés depuis qu’il a quitté l’ébénisterie.
Il occupe alors un poste de chef de service, pendant 1 an et demi, dans la même institution. Reprendre une formation n’est pas envisageable, il est très impliqué dans la structure, en temps, en énergie…
L’ébéniste, étudiant en Master
Jean-Philippe, va toujours de l’avant.
A la quarantaine, cette fois-ci c’est pour un rapprochement familial qu’il quitte son employeur, il part pour le sud.
C’est à nouveau, qu’il convainc, qu’il rassure ses interlocuteurs. Ça ne tombe pas du ciel. Avec un conseiller de Pôle emploi, il trouve la solution pour entrer en Master Management des organisations sanitaires et sociales, toujours à l’IRTS mais cette fois-ci, sur le site de Montrouge.
Aujourd’hui en 2ème année de Master et au terme de l’entretien, Jean-Philippe Debrus revient sur son parcours :
Il y a eu 3 ou 4 personnes qui m’ont encouragé, qui m’ont transmis un savoir-faire incontestable, qui sont des types extraordinaires, de la vieille école, des passionnés de l’éducation spécialisée… et qui sont devenus des amis. Et puis la culture familiale, pas seulement par ma mère, mais aussi d’autres membres de la famille, complètement engagés dans l’éducation…
Je n’élabore plus de stratégies de formation, en dehors du fait que je souhaite diriger une maison de retraite. Ce sera un peu l’aboutissement de ce parcours commencé en 96.
Voilà, c’est l’envie et la nécessité de ne pas m’embourber, de ne pas me retrouver dans un carcan ; le compromis entre là où il y a du travail et où l’on peut faire des choses… J’ai toujours fait des liens entre l’aménagement de l’espace et le projet d’établissement, créer l’environnement le plus adapté à la prise en charge de la personne accueillie, le meilleur cadre de vie possible… “C’est ce qui me grattouille” pour citer Brigitte Berrat.
Interview par Marie Christine Girod.