Safya Baly, étudiante Assistant de service social atypique

C’est avec réticence – elle ne souhaite pas se mettre en avant – que l’interview commence… Safya Baly va très vite droit au but, sans chichi. Sa parole est simple, organisée, parfois radicale, parfois drôle mais toujours avec empathie… en un mot Safya Baly est pétillante.
Ça va être un peu long à raconter parce que j’ai un parcours très atypique pour une future assistante de service social…
Un officier qui devient assistante sociale, c’est bizarre
A l’issue de mes études, il n’y avait pas énormément de travail dans les relations internationales. J’avais passé une année au Mexique, fait un stage en Colombie… J’ai regardé ce qui se présentait.
Pendant 5 ans j’ai travaillé en tant qu’officier sous contrat au bureau des relations internationales à l’armée. Ça a été passionnant, notamment la coopération avec l’Amérique latine. Accompagner les délégations, me déplacer à l’étranger, monter les réunions d’État-major… Au fur et à mesure je me suis rendue compte que je que j’aimais avant tout c’était le côté relationnel avec les visiteurs étrangers, et plus particulièrement avec les petits pays : Pérou, Équateur, Colombie…
La dernière année il y a eu une restructuration. J’étais débordée. J’ai tenu bon mais j’étais à la limite de faire un burnout. Puis Safya Baly est transférée à un autre poste – à la communication – où elle n’avait pas une grande plus-value. Ça ne m’intéressait pas du tout et en plus je n’étais pas compétente. Je n’en pouvais plus de regarder mon ordinateur à longueur de journée. J’avais perdu complètement le sens de ce que je faisais. J’étais en train de mourir intellectuellement. Là, je me suis demandée “Est-ce que vraiment ce que je fais, c’est essentiel dans ma vie ?”
J’étais douée pour le relationnel
A 31 ans, j’ai tout repris à zéro, j’ai fait le point sur mes compétences. J’étais douée pour conseiller les gens, pour faire en sorte qu’ils soient à l’aise, j’aimais bien tricoter le lien entre les personnes… J’avais envie d’un emploi ou je puisse développer ce savoir-être.
J’ai acheté un petit guide sur les métiers du social, je les ai regardé 1 par 1. Au début, j’avais un peu peur quand je suis venue à me dire qu’assistant de service social ça pourrait être bien. Ma culture générale, mon expérience avec un public étranger pouvaient m’aider… Mais bon… alors j’ai interviewé des assistantes de service social par téléphone, regardé sur Internet.
Dans mon entourage, quand je leur ai annoncé ma décision, je ne vous cache pas qu’ils sont un peu tombés des nues, il m’a fallu convaincre. “Tu as fait Sciences Po, fais un truc un peu plus ambitieux”. “Tu es trop sensible”…
Le soutien de l’entourage ça compte beaucoup. J’avais rempli mon contrat vis-à-vis de mes parents qui m’avaient payé mes études. Mon mari m’a fait confiance. Le moment était venu de faire un métier qui colle un peu plus à ma personnalité. J’ai besoin d’être nourrie intellectuellement, d’être en questionnement et de faire sans arrêt de nouvelles rencontres… et le métier d’assistant de service social, c’est parfait pour ça. Il n’y a pas une journée qui ressemble à une autre, pas de routine.
Avec tout mon bagage, j’étais un peu inquiète pour passer les épreuves d’admission
Pour le choix de l’école le critère géographique était très important. J’ai regardé sur Internet. Safya Baly en choisit 2, proches de chez elle. En reconversion on ne va pas être trop ambitieuse sur la distance de trajet. Une formation c’est exigeant, ça demande du boulot… Il ne faut pas négliger cet aspect.
Avec mon Master relations internationales de Sciences Po, mon expérience d’officier… j’avais peur que ce soit un handicap pour les épreuves d’admission en école du social. A l’IRTS on m’a mise très à l’aise. Quand je suis venue passer l’écrit, le directeur est venu se présenter et nous dire : “Allez-y tenez bon, c’est une filière où on a des besoins. Il faut y aller, il faut s’engager”. Ça m’a plu, je me suis sentie un peu portée.
A l’entretien, on ma mise à l’aise, le professionnel et le psychologue ont lu ma lettre de motivation, ils ont eu le souci comprendre mon parcours, sans me juger.
J’avais une petite expérience de bénévolat. J’avais accompagné des personnes âgées en gériatrie à l’hôpital. Ça m’avait bouleversée. Quand j’arrivais il se passait quelque chose… les personnes étaient contentes de me voir… Voilà, ça n’était pas grand-chose, mais je m’y sentais bien.
Il y a eu aussi le fait que je vienne du 93. Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas la maturité. Toutes les questions de précarité… je n’avais pas trop envie d’en entendre parler. Je n’avais qu’une envie c’était de m’en aller. C’était un peu pour ça que j’avais passé mes concours de Sciences Po à Toulouse, pas forcément par ambition mais pour réussir scolairement, quitter la région parisienne que je trouvais triste à mourir. Je n’en voyais que les inconvénients en fait. Je ne voyais pas la richesse culturelle. Quand à Sciences Po je suis partie 1 an en stage en Colombie, je n’avais pas encore pris conscience que, cette diversité-là, je l’avais aussi ici, à ma porte.
C’est une vraie reconversion
Ça n’est pas évident de se replonger du jour au lendemain dans ses cahiers. Au début, ça a été un peu dur d’accepter le cadre mais maintenant j’ai pris le rythme. On a beaucoup de textes photocopiés en cours, on tue plein d’arbres, ça date un peu… On pourrait utiliser un outil collaboratif en ligne que chacun irait alimenter… comme ça commence à se faire au niveau des facs. Safya Baly ne manque pas d’idées, une ouverture sur l’international – stages à l’étranger, le travail social en Europe, des cours en anglais…
En 1re année c’est la phase d’adaptation. Avoir un formateur référent, des travaux de groupes… j’aurais bien voulu avoir ça à 20 ans. On a besoin d’être porté et ça je l’apprécie. On travaille en groupes en TD, on est avec les étudiants d’autres filières – éducateur de jeunes enfants et éducateur spécialisés – et ça c’est un plus. Au début, le fait de mixer sans arrêt ça produit un panachage un peu fatigant, on ne reconnait personne. J’étais paumée, je ne savais pas qui était dans ma filière qui ne l’était pas. A la fin de la 1re année je connaissais tous les étudiants.
A l’IRTS on prépare un diplôme d’État – le DEASS – et une Licence. J’ai un Bac+5 alors pourquoi je prépare une licence ? J’avais 3 ans devant moi, alors j’ai choisi la Licence sciences sanitaires et sociales. C’est quelque chose que je n’avais jamais pu appréhender, c’est complètement nouveau et en même temps c’est au cœur du travail social. Tout ce qui est l’accès aux soins, la prévention…
A sciences Po c’était proche de la licence AES[[En 1re année, les étudiants bénéficient d’enseignements communs aux 3 licences : Administration économique et sociale, Sciences sanitaires et sociales & Clinique – Psychologie. L’étudiant fait le choix d’une des licences en fin de 1re année.]]. J’étais une étudiante assez moyenne, peu de confiance en moi… je m’étais retrouvée dans le ventre mou. Ici, j’ai redécouvert les choses, c’est génial. Je comprends pourquoi on fait ça, je fais des liens, des connexions… je prends plaisir. Je retrouve du sens dans les études. Ça y est, j’ai mes notes qui décollent… C’est une vraie reconversion.
Les intervenants dans le cadre de la filière Assistant de service social ont l’expérience du terrain. Le cadre juridique, exposé par un universitaire va donner des références. Je pense que c’est complémentaire. Ça donne de l’ampleur à la formation
J’ai choisi de faire mon 1er stage en psychiatrie. J’ai adoré. J’ai découvert énormément de choses. L’intervention collective, j’aimerais bien m’investir dedans, j’aime être avec des groupes. Si demain je peux faire de l’individuel et du collectif, c’est sûr je m’éclate…
Il y a une bonne ambiance. A la fin de la 1re année on formait une promo homogène, avec des groupes par affinités. Mais c’est comme partout et c’est normal. Parfois ça fritte un peu entre une jeune de 18 ans qui sort du Bac et quelqu’un de 30 ans… ça n’est pas la même maturité, la même manière de travailler… Il faut s’adapter. Je m’efforce d’arrondir les angles…
Il y a Facebook qui marche très bien. J’ai dû me remettre dedans à petites doses parce que je m’étais un peu retirée des réseaux sociaux. En tant que déléguée de promo, pour transmettre les informations, les consignes, c’est immédiat, c’est fluide.
J’avais des appréhensions par rapport au financement des études
Avant d’entrer en formation, j’avais un super métier, un très bon salaire. J’avais certaines habitudes de vie… et je ne voulais pas être complètement dépendante de mon mari. C’est génial, la formation étant validée par pôle emploi, j’ai droit à une allocation pendant 2 ans. En comme Assistant de service social est un métier en tension, je pourrai bénéficier de la rémunération de fin de formation pour la 3e année.
Interview par Marie Christine Girod.
Photos – ©Marie Christine Girod – IRTS 2016