Séminaire – Qu’est-ce que la clinique aujourd’hui ?
ProgrammeLes 3es mercredis de chaque mois de 17h à 19h à partir de janvier 2013.
Ce séminaire a pour finalité de nourrir une réflexion sur les processus de transmission et les enjeux de professionnalisation des travailleurs sociaux. Notre souhait est que ce séminaire favorise pour chacun un questionnement sur la transmission, la formation et l’appropriation de la clinique.
Il s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut régional de travail social – IRTS – Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne et l’Université Paris 13, Sorbonne-Paris-Cité. L’objet de ce partenariat est de préparer les étudiants à un cursus à double validation : Diplôme d’État de travail social d’une part et une des quatre licences universitaires proposées, dont la licence de psychologie, parcours clinique, d’autre part.
Simultanément, une recherche est mise en œuvre par des chercheurs de l’Unité Transversale de Recherches Psychogenèse et Psychopathologie et des chercheurs de l’IRTS.
En quoi la formation clinique participe-t-elle de la professionnalisation des travailleurs sociaux ? Cette formation permet-elle de répondre aux enjeux actuels du travail social ? en sont les questions initiales. Cette recherche comporte deux grands volets articulés : une étude épistémologique et théorique ; une recherche-action.
Ce séminaire, tentative de problématisation de la démarche clinique, permettra de la situer comme objet de recherche dans des domaines différents, tels que psychologie, psychanalyse, psychiatrie, sociologie, travail social, philosophie, mais aussi médecine, sciences de l’éducation, formation, etc.
L’objectif sera de clarifier entre analogie, parallélisme, différence ou mise en tension, la référence à la clinique dans les différents champs où elle est opérante. Il s’agira de confronter les différentes approches du sujet, tant du sujet social que du sujet de l’inconscient, dans les différents courants disciplinaires.
Public
Ce séminaire s’adresse aux enseignants-chercheurs et formateurs, aux professionnels, psychologues et travailleurs sociaux, et aux étudiants avancés dans leur cursus, tant en travail social qu’en psychologie.
Pour la suite, des prolongations sont envisagées pour janvier 2015 et un projet de publication est à l’étude. A suivre…
Programme 2013-2014
**Les positions subjectives de l’homme démocratique
Mercredi 9 avril 2014, 17h-19h
Myriam Revault d’Allonnes – philosophe, professeur à l’Ecole des hautes études – EPHE – chercheur associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po – CEVIPOF
Photos : Marie Christine Girod – 2014
Ouverture de la séance du 9 avril 2014 par Anne Petiau, chargée de recherche à l’IRTS
Comme c’est maintenant instauré l’usage, je vais introduire cette sixième séance en tentant de tisser un fil rouge entre les interventions précédentes. Rappelons que ce séminaire a pour objectif de problématiser la démarche clinique et les différentes approches du sujet – comme être individuel versus objet – dans les différents champs, les différentes disciplines où elles sont opérantes.
A l’issue des sept premières séances, nous pouvons souligner la diversité des approches, du point de vue disciplinaire, auquel a pu donner lieu le séminaire : les interventions ont été situées du point de vue de la psychanalyse – avec Jean-Pierre Lebrun, Roland Gori, René Kaës – du point de vue de la psychologie du travail – avec Yves Clot – de la sociologie – avec Michel Chauvière – des sciences de l’éducation – avec Claudine Blanchard-Laville – de la psychologie sociale – avec Florence Giust-Desprairies.
Au fur et à mesure des séances, des thèmes transversaux se dégagent et se précisent. Je vais en rendre compte en sélectionnant quelques aspects saillants des propos des différents intervenants.
Premier thème : l’influence du contexte social sur le sujet et la clinique.
Qu’est-ce qui arrive au sujet et donc à la clinique aujourd’hui, dans le contexte social particulier qui est le nôtre ? Comment la clinique est-elle transformée, suite aux évolutions qui affectent le sujet dans ce contexte social ? Les intervenants abordent différentes évolutions contemporaines particulières.
Jean-Pierre Lebrun et René Kaës ont tracé les contours d’évolutions sociales d’ampleur. JP Lebrun parle d’une crise de « l’humanisation » (un ébranlement des rôles parentaux traditionnels, dans un contexte d’affaiblissement du patriarcat, de progrès démocratique et d’égalité des sexes), qui entraîne une crise de l’autorité – que l’on voit dans la famille et la société entière, y compris le travail social. René Kaës fait également référence aux transformations des statuts familiaux et à la crise de l’autorité, en les replaçant plus largement dans l’évolution des sociétés de la modernité vers la postmodernité ou hypermodernité. Il évoque également une inquiétude fondamentale comme caractéristique de ces « deuxièmes modernités », qui découle des catastrophes qu’a connues l’humanité, de la bombe atomique à la Shoa, en passant par la menace écologique.
Roland Gori et Florence Giust-Desprairies ont pour leur part tracé le contexte social de la généralisation d’une pensée néolibérale. Florence Giust-Desprairies met l’accent sur la réduction de la rationalité à la rationalité instrumentale : l’intérêt économique prime, les institutions sont envisagées de manière réductrice comme des systèmes mesurables, que l’on peut contrôler rationnellement. Dans la même ligne, Roland Gori met souligne le règne d’une pensée quantitative et marchande, prenant les contours d’une “folie évaluation”, qui s’impose dans tous les secteurs professionnels, selon des normes extérieures aux logiques métiers. Cette montée de l’évaluation est aussi soulignée par Michel Chauvière dans le secteur particulier du travail social, dans le cadre d’une marchandisation d’une partie du secteur social et de la montée en puissance de l’expertise, qui se prétend savoir mais est en réalité au service du pouvoir – ce que l’on voit avec l’évaluation, les recommandations de bonnes pratiques, etc.
Ces quatre auteurs se retrouvent autour du constat de l’affectation du sujet par ces évolutions sociales : la mise en récit est empêchée tant par les grandes catastrophes – R. Kaës – que par le mode de pensée gestionnaire – R. Gori qui impose des procédures standardisées au lieu du colloque singulier entre le thérapeute et son patient. Pour René Kaës et Florence Giust-Desprairies, ces évolutions entraînent un ébranlement de la capacité même de l’individu à se constituer en sujet, le socle du narcissisme étant affecté. En effet, comme le précise Florence Giust-Desprairies, l’imaginaire de la maîtrise rationnelle s’étend au sujet, celui-ci est réduit à son rôle et sa fonction plutôt que de se constituer en sujet psychique, il ne parvient plus à penser et exprimer les conflits, les troubles, les affects et la complexité des situations. René Kaës dénomme “malêtre” ce processus de dé-subjectivation. Si celui-ci apparaît comme un état ordinaire chez les contemporains, il souligne également, avec JP Lebrun, l’apparition de nouvelles névroses, qui appellent alors de nouvelles modalités de relations cliniques entre le thérapeute et son patient.
Second thème : le rapport entre le collectif et le sujet.
Ce thème se décline d’abord par la question de la clinique comme intervention en direction de collectifs, plutôt que comme colloque singulier entre deux sujets, comme le pratiquent notamment Florence Giust-Desprairies et Yve Clot. Ce dernier définit une clinique de l’activité, où il s’agit d’intervenir en milieu professionnel, de soigner le travail plutôt que les sujets. L’intervention en organisation consiste non pas à détecter les fragiles et à les traiter – ce qui revient pour lui à “traiter les déchets subjectifs du travail” – mais plutôt à intervenir en organisation et s’attaquer ainsi au contexte, aux causes. La clinique comme intervention impliquant des collectifs renvoie aussi à la pratique de Claudine Blanchard-Laville. Dans ses travaux et ses interventions auprès des enseignants, d’une part elle interroge l’espace didactique – qui est un contexte collectif – sur le plan psychique, d’autre part elle vise par l’intervention clinique des effets sur celui-ci.
Mais ce thème se décline aussi dans une perspective plus fondamentale, ainsi que l’a introduit Yves Clot. Il est important que la clinique intervienne sur le milieu car c’est en créant leur milieu, en le transformant par l’activité, en l’humanisant, que le processus de subjectivation peut s’opérer. Yves Clot amorce ici le dernier de nos thèmes transversaux : les relations entre le groupe social et le processus de subjectivation, la manière dont les différents collectifs contribuent à permettre à l’individu de se constituer en sujet – et donc les implications que ce processus peut avoir pour la clinique. On a retrouvé ce thème avec René Kaës, qui explore les liens entre culture et psyché individuelle, dans la lignée de Freud et d’autres. En effet, les psychés singulières sont étayées par des “garants méta-psychiques” – interdits fondamentaux, contrats intersubjectifs – qui sont eux-mêmes étayés par des “garants méta-sociaux”, telles que les structures d’autorité, les grands récits – mythes, idéologies, croyances et religions – d’une culture. Finalement, il s’agit ici de penser les conditions de possibilité de notre premier thème, d’explorer par quels processus les évolutions sociales peuvent affecter le sujet, comment est-ce que le “devenir Je” peut être ébranlé par des mutations culturelles.
Troisième thème : la clinique comme résistance.
Pour Roland Gori, Florence Giust-Desprairies et Michel Chauvière notamment, la clinique se situe à contre-courant du mouvement de rationalisation instrumentale, des forces managériales, d’évaluation et de marchandisation. Elle est donc malmenée dans ce contexte, mais constitue une force de résistance. Il est important que les praticiens s’y réfèrent, en revenant aux fondements éthiques de la pratique – R. Gori – en mobilisant cette expérience et cet “art de vivre”dans l’aide et l’accompagnement – M. Chauvière. Pour ce dernier, c’est la clinique qui apporte sa singularité au travail social, par les modalités de l’aide au cas par cas, de la rencontre où l’intervenant engage de sa personne – rendant alors nécessaire l’analyse des pratiques. Florence Giust-Desprairie nous a donné un exemple de résistance en acte en relatant un cas d’intervention psycho-sociale dans une institution, contribuant à restaurer les capacités d’expression et de subjectivation des professionnels. Pour Claudine Blanchard-Laville, la clinique permet aussi une posture de résistance dans le domaine éducatif, en permettant aux enseignants de résister à l’envahissement du contexte – notamment évaluatif – et de réaliser un travail d’élaboration psychique pour être plus libre de mener un travail éducatif qui se fonde sur ses sources éthiques, pour former un cadre soutenant d’apprentissage. L’enseignant contribue alors à une re-légitimation de l’autorité, dont on a vu précédemment qu’elle pouvait faire défaut, affectant in fine le sujet. Pourrait-on, finalement, parler d’une politique de la clinique ?
**Éléments pour une clinique psycho-sociale
Mercredi 19 mars 2014, 17h-19h
Florence Giust-Desprairie – professeur Université Paris 7 Denis-Diderot, co-directrice du Laboratoire de changement social
Photos : Marie Christine Girod – 2014
**Clinique du Malêtre ordinaire
Mercredi 5 février 2014, 17h-19h
René Kaës – psychanalyste, ancien professeur de psychopathologie clinique – Université Lyon 2
Photos : Marie Christine Girod – 2014
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Dans la logique de séminaire, je vais introduire cette cinquième séance en tentant de tisser un fil rouge entre les interventions précédentes. Rappelons que ce séminaire a pour objectif de problématiser la démarche clinique et les différentes approches du sujet (comme être individuel versus objet), dans les différents champs, les différentes disciplines où elles sont opérantes.
A l’issue des cinq premières séances, nous pouvons souligner la diversité des approches, du point de vue disciplinaire, auquel a pu donner lieu le séminaire : les interventions ont été situées du point de vue de la psychanalyse (avec Jean-Pierre Lebrun et Roland Gori), du point de vue de la psychologie du travail (avec Yves Clot), de la sociologie (avec Michel Chauvière) et des sciences de l’éducation (avec Claudine Blanchard-Laville).
Plutôt que des comptes-rendus linéaires, ce qui serait fastidieux maintenant que nous arrivons à un nombre conséquent de séances, je vais tenter de dégager des thèmes transversaux. Je ne rendrai donc pas justice à la richesse des propos des différents intervenants, puisque j’en sélectionnerai seulement quelques aspects saillants.
Premier thème : l’influence du contexte social sur le sujet et la clinique
Qu’est-ce qui arrive au sujet et donc à la clinique aujourd’hui, dans le contexte social particulier qui est le nôtre ? Comment la clinique est-elle transformée, suite aux évolutions qui affectent le sujet dans ce contexte social ? Les intervenants abordent différentes évolutions contemporaines particulières. Jean-Pierre Lebrun trace le contexte social de ce qu’il appelle une crise de “l’humanisation” (un ébranlement des rôles parentaux traditionnels, dans un contexte d’affaiblissement du patriarcat, de progrès démocratique et d’égalité des sexes), qui entraîne une crise de l’autorité (que l’on voit dans la famille et la société entière, y compris le travail social) et l’apparition de nouvelles névroses. Ces nouvelles névroses qui affectent le sujet appellent de nouvelles modalités de relations cliniques entre le thérapeute et son patient.
Roland Gori a quant à lui tracé le contexte social de la généralisation d’une pensée néolibérale, d’une pensée quantitative et marchande, prenant les contours d’une “folie évaluation”, qui s’impose dans tous les secteurs professionnels, selon des normes extérieures aux logiques métiers. Cette montée de l’évaluation est aussi soulignée par Michel Chauvière dans le secteur particulier du travail social, dans le cadre d’une marchandisation d’une partie du secteur social et de la montée en puissance de l’expertise, qui se prétend savoir mais est en réalité au service du pouvoir (ce que l’on voit avec l’évaluation, les recommandations de bonnes pratiques, etc.).
Roland Gori trace des conséquences de ce contexte pour la clinique : ce mode de pensée empêche la clinique, la mise en récit. Il impose des procédures standardisées au lieu du colloque singulier entre le thérapeute et son patient.
Second thème : la clinique comme résistance
Pour Roland Gori et Michel Chauvière notamment, la clinique se situe à contre-courant des forces managériales, d’évaluation, de marchandisation. Elle est donc malmenée dans ce contexte, mais constitue une force de résistance. Il est important que les praticiens s’y réfèrent, en revenant aux fondements éthiques de la pratique (R. Gori), en mobilisant cette expérience et cet « art de vivre » dans l’aide et l’accompagnement (M. Chauvière). Pour ce dernier, c’est la clinique qui apporte sa singularité au travail social, par les modalités de l’aide au cas par cas, de la rencontre où l’intervenant engage de sa personne (rendant alors nécessaire l’analyse des pratiques). Pour Claudine Blanchard-Laville, la clinique permet aussi une posture de résistance dans le domaine éducatif, en permettant aux enseignants de résister à l’envahissement du contexte (notamment évaluatif) et de réaliser un travail d’élaboration psychique pour être plus libre de mener un travail éducatif qui se fonde sur ses sources éthiques, pour former un cadre soutenant d’apprentissage. L’enseignant contribue alors à une re-légitimation de l’autorité. La clinique pourrait ainsi permettre de contribuer à la restauration de l’autorité, dont on a vu précédemment qu’elle pouvait faire défaut, affectant in fine le sujet. Pourrait-on, finalement, parler d’une politique de la clinique ?
Le troisième thème est un thème émergent : le rapport entre le collectif et le sujet
Ce thème se rapproche des relations entre le contexte social et le sujet, mais sous un angle particulier. [[Ici, il me semble nécessaire de préciser que je suis sociologue, et m’excuser ainsi d’avance d’éventuelles maladresses dans la restitution des pensées des intervenants psychologues et psychanalystes.]]
Ce thème se décline d’abord par la question de la clinique comme intervention en direction de collectifs, plutôt que comme colloque singulier entre deux sujets. Yves Clot définit ainsi une clinique de l’activité, où il s’agit d’intervenir en milieu professionnel, de soigner le travail plutôt que les sujets. L’intervention en organisation consiste non pas à détecter les fragiles et à les traiter (ce qui revient pour lui à “traiter les déchets subjectifs du travail”), mais plutôt à intervenir en organisation et s’attaquer ainsi au contexte, aux causes. L’intervention vise à permettre aux collectifs de travailleurs et aux directions de dialoguer et de faire émerger les conflits, notamment ceux entre la recherche de qualité et du travail bien fait d’une part, et la santé mentale et physique d’autre part[[Comme on l’a vu dans des exemples, la “qualité empêchée” est pour Yves Clot à la source des malaises : chercher à bien faire un “bon travail” dans des contextes qui ne le permettent pas peut entraîner des conséquences pour la santé mentale (stress) ou physique.]]. La clinique comme intervention impliquant des collectifs renvoie aussi à la pratique de Claudine Blanchard-Laville. Dans ses travaux et ses interventions auprès des enseignants, d’une part elle interroge l’espace didactique – qui est un contexte collectif – sur le plan psychique, d’autre part elle vise par l’intervention clinique des effets sur celui-ci.
Mais ce thème se décline aussi dans une perspective plus fondamentale, ainsi que l’a introduit Yves Clot. Il est important que la clinique intervienne sur le milieu car c’est en créant leur milieu, en le transformant par l’activité, en l’humanisant, que le processus de subjectivation peut s’opérer.
Voici amorcé, je crois, un autre thème transversal : les relations entre le groupe social et le processus de subjectivation, la manière dont les différents collectifs contribuent à permettre à l’individu de se constituer en sujet, et les implications que ce processus peut avoir pour la clinique.
**Clinique de l’activité en analyse du travail
Mercredi 18 décembre 2013, 17h-19h
Yves Clot – professeur titulaire de la chaire de psychologie du travail au CNAM, responsable de l’équipe de clinique de l’activité
Photos : Marie Christine Girod – 2013
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Dans la logique de séminaire, je vais introduire cette cinquième séance en tentant de tisser un fil rouge entre les interventions précédentes. Les quatre intervenants précédents ont pioché de manière différente dans notre titre – “qu’est-ce que la clinique aujourd’hui ?” – et l’argumentaire que nous leur avons proposé. Rappelons en effet que ce séminaire constitue la première phase d’une recherche-action menée en partenariat par l’Université Paris 13 et l’IRTS, accompagnant notre nouveau projet pédagogique de formation universitaire et sociale. Cette première phase a pour objectif de problématiser la démarche clinique et les différentes approches du sujet (comme être individuel versus objet), dans les différents champs (disciplines) où elles sont opérantes.
Les deux premières intervenants – Jean-Pierre Lebrun et Roland Gori – se sont emparés de cet argumentaire du point de vue de la psychanalyse, en se demandant : qu’est-ce qui arrive à la clinique aujourd’hui, dans le contexte social particulier qui est le nôtre ? Comment la clinique est-elle transformée, suite aux évolutions qui affectent le sujet dans ce contexte social ?
Chacun aborde une évolution contemporaine particulière. Jean-Pierre Lebrun trace le contexte social de ce qu’il appelle une crise de l’humanisation (un ébranlement des rôles parentaux traditionnels, dans un contexte d’affaiblissement du patriarcat, de progrès démocratique et d’égalité des sexes), qui entraîne une crise de l’autorité (que l’on voit dans la famille et la société entière, y compris le travail social) et l’apparition de nouvelles névroses. Ces nouvelles névroses qui affectent le sujet appellent de nouvelles modalités de relations cliniques entre le thérapeute et son patient.
Roland Gori quant à lui a tracé le contexte social de la généralisation d’une pensée néolibérale, d’une pensée quantitative et marchande, prenant les contours d’une “folie évaluation”, qui s’impose dans tous les secteurs professionnels, selon des normes extérieures aux logiques métiers. Lui aussi trace les conséquences pour la clinique : ce mode de pensée empêche la clinique, la mise en récit. Il impose des procédures standardisées au lieu du colloque singulier entre le thérapeute et son patient.
Notre troisième intervenante, Claudine Blanchard-Laville s’est saisie de l’aspect épistémologique de notre interrogation, en abordant la définition de l’approche clinique du point de vue des sciences de l’éducation. Elle aborde la clinique comme une démarche consistant, pour le chercheur clinicien, à travailler avec des sujets singuliers, qui sont aux prises avec leur appareil psychique, leurs fantasmes, leurs inconscients (versus la recherche expérimentale) et à tenir compte de la subjectivité du chercheur comme faisant partie du processus de recherche (prendre en compte et rendre compte du contre-transfert du chercheur). Au regard des objets de travail de C. Blanchard-Laville, qui portent sur le métier d’enseignant, il s’agit alors pour elle d’interroger l’espace didactique sur le plan psychique.
Lors de la dernière séance, Michel Chauvière s’est emparé de notre interrogation en se focalisant sur la place de la clinique aujourd’hui dans le travail social. Elle fait selon lui partie d’un des quatre piliers du travail social, avec le droit, les institutions et les savoirs. Chacun de ces piliers est soumis à des ébranlements. Les politiques d’activation, qui instaurent des contreparties pour l’obtention d’une prestation ou d’une aide, tendent à remettre en cause l’inconditionnalité des droits créances. L’institution est pour sa part menacée d’une part par la marchandisation d’une partie du secteur social, d’autre part par la substitution, dans la réflexion et la recherche, de l’institution par l’organisation, conforme à la perspective managériale. Le savoir est lui aussi ébranlé avec la montée en puissance de l’expertise, qui se prétend savoir mais est en réalité au service du pouvoir (ce que l’on voit au travers de l’évaluation, des recommandations de bonnes pratiques, etc.). C’est le dernier pilier, la clinique, qui apporte sa singularité au travail social, par les modalités de l’aide au cas par cas, de la rencontre où l’intervenant engage de sa personne (rendant alors nécessaire l’analyse des pratiques). Cette dimension clinique est toutefois ébranlée par le développement du secteur marchand, où les bas de niveau de qualification entraînent un manque de clinicité (exemple des EHPAD et des problèmes de maltraitance).
Un fil rouge se dessine depuis le début du séminaire, tant au travers des interventions qu’au travers des débats qui les suivent : la question de la résistance. Pour Roland Gori et Michel Chauvière notamment, la clinique se situe à contre-courant des forces managériales, d’évaluation, de marchandisation. Il est important que les praticiens s’y réfèrent, en revenant aux fondements éthiques de la pratique (R. Gori), en mobilisant cette expérience et cet “art de vivre” dans l’aide et l’accompagnement (M. Chauvière). Pour C. Blanchard-Laville, la clinique permet aussi une posture de résistance dans le domaine éducatif, en permettant aux enseignants de résister à l’envahissement du contexte (notamment évaluatif) et de réaliser un travail d’élaboration psychique pour être plus libre de mener un travail éducatif qui se fonde sur ses sources éthiques, pour former un cadre soutenant d’apprentissage. L’enseignant contribue alors à la restauration de l’autorité, une re-légitimation de l’autorité que J.-P. Lebrun appelle de ses vœux, dans un contexte actuel où elle tend à faire défaut. Le débat suite à la dernière séance s’est terminé sur ce questionnement : la clinique ne serait-elle pas profondément politique ?
**C’est la clinique qui donne sens au travail social
Mercredi 12 juin 2013, 17h-19h
Michel Chauvière – sociologue et politiste, directeur de recherche émérite au CNRS, membre du CERSA – Centre d’études et de recherche de sciences administratives et politiques – Université Paris 2
Photos : Marie Christine Girod – 2013
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Séminaire « Qu’est-ce que la clinique aujourd’hui ? »
12 juin 2013 – Synthèse des trois premières séances
Dans la logique de séminaire, je vais introduire très brièvement cette quatrième séance en tentant de tisser un fil rouge entre les interventions précédentes. Les trois intervenants précédents ont pioché de manière différente dans notre titre – “Qu’est-ce que la clinique aujourd’hui ?” – et l’argumentaire que nous leur avons proposé. Rappelons en effet que ce séminaire constitue la première phase d’une recherche-action menée en partenariat par l’Université Paris 13 et l’IRTS, accompagnant notre nouveau projet pédagogique de formation universitaire et sociale. Cette première phase a pour objectif de problématiser la démarche clinique et les différentes approches du sujet (comme être individuel versus objet), dans les différents champs (disciplines) où elles sont opérantes.
Les deux premières intervenants – Jean-Pierre Lebrun et Roland Gori – se sont emparés de cet argumentaire du point de vue de la psychanalyse, en se demandant : qu’est-ce qui arrive à la clinique aujourd’hui, dans le contexte social particulier qui est le nôtre ? Comment la clinique est-elle transformée, suite aux évolutions qui affectent le sujet dans ce contexte social ?
Chacun aborde une évolution contemporaine du contexte social. J.-P. Lebrun trace le contexte social de ce qu’il appelle une crise de “l’humanisation” (un ébranlement des rôles parentaux traditionnels, dans un contexte d’affaiblissement du patriarcat, de progrès démocratique et d’égalité des sexes), qui entraîne une crise de l’autorité (que l’on voit dans la famille et la société entière, y compris le travail social) et l’apparition de nouvelles névroses. Ces nouvelles névroses qui affectent le sujet appellent de nouvelles modalités de relations cliniques entre le thérapeute et son patient. J.-P. Lebrun trace donc des pistes pour l’action, pour le psychanalyste mais aussi d’un point de vue social, en appelant une re-légitimation de l’autorité.
R. Gori quant à lui a tracé le contexte social de la généralisation d’une pensée néolibérale, d’une pensée quantitative et marchande, prenant les contours d’une “folie évaluation”, qui s’impose dans tous les secteurs professionnels, selon des normes extérieures aux logiques métiers. Lui aussi trace les conséquences pour la clinique : ce mode de pensée empêche la clinique, la mise en récit. Il impose des procédures standardisées au lieu du colloque singulier entre le thérapeute et son patient. Il termine par des postures possibles de résistance dans les métiers : notamment exercer son travail en se fondant sur l’éthique qui l’a fondé.
Notre troisième intervenante, Claudine Blanchard-Laville a pioché différemment dans notre argumentaire. Elle s’est en effet saisie de l’aspect épistémologique de notre interrogation, qui se demandait comment différentes disciplines peuvent abordent l’approche clinique. C. Blanchard-Laville a contribué à ce questionnement en abordant la définition de l’approche clinique du point de vue des sciences de l’éducation. Elle aborde donc la clinique comme une démarche consistant, pour le chercheur clinicien, à travailler avec des sujets singuliers, qui sont aux prises avec leur appareil psychique, leurs fantasmes, leurs inconscients (versus la recherche expérimentale) et à tenir compte de la subjectivité du chercheur comme faisant partie du processus de recherche (prendre en compte et rendre compte du contre-transfert du chercheur). Au regard des objets de travail de C. Blanchard-Laville, qui portent sur le métier d’enseignant, il s’agit alors pour elle d’interroger l’espace didactique sur le plan psychique. Poursuivant son interrogation épistémologique, C. Blanchard-Laville a ensuite abordé dans quelle mesure les critères de scientificité usuels (validation, généralisation, légitimité) étaient affectés par cette approche.
Un premier fil rouge avec les interventions précédentes est apparu dans le débat : la question de la résistance. L’approche clinique en sciences de l’éducation apparaît en effet comme la source d’une posture de résistance dans le domaine éducatif : permettre aux enseignants de développer leurs capacités psychiques pour trouver des ressources à l’envahissement du contexte (notamment le contexte évaluatif), permettre aux enseignants de réaliser un travail d’élaboration psychique pour être plus libre de mener un travail éducatif qui se fonde sur ses sources éthiques, pour former un cadre soutenant d’apprentissage (contribuant ainsi à la restauration de l’autorité).
Je laisse maintenant la parole à Michel Chauvière, dont le dernier ouvrage L’intelligence sociale en danger (2011) est précisément sous-titré “Chemins de résistance et propositions”.
**Psychanalyse, éducation, sciences de l’éducation
Mercredi 17 avril 2013, 17h-19h
Claudine Blanchard-Laville – professeur émérite à l’Université Paris X Nanterre
Photos : Marie Christine Girod – 2013
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Je vais introduire par une très brève synthèse des interventions précédentes, afin de faire le lien entre les séances. Je vais le faire de mon point de vue de sociologue. Il est certain que je ne pourrais pas restituer la richesse de la pensée du point de vue de la clinique et de la psychanalyse. Cependant, J.-P. Lebrun et R. Gori me facilitent considérablement la tâche, car le point commun de leurs interventions est d’avoir fait le lien entre des évolutions sociales et leurs conséquences pour la clinique, des ponts entre la sociologie et la psychanalyse.
Jean-Pierre Lebrun, “Penser l’articulation entre le social et le singulier”
J.-P. Lebrun nous a parlé d’une “crise de l’humanisation”. Il a retracé l’ébranlement des repères et des rôles parentaux qui accompagne l’affaiblissement du patriarcat, les progrès démocratiques et l’égalité des sexes. J.-P. Lebrun parle même d’un vacillement de l’interdit de l’inceste, au sens où l’enfant a plutôt deux mères qu’une mère et un père. Or, c’est le père qui permet d’opérer le discernement d’avec la mère et qui permet l’accès à la parole.
Quelles en sont les conséquences ? D’abord une crise de l’autorité. Celle-ci n’est plus ressentie comme légitime par ceux qui l’exercent, elle est critiquée par ceux qui doivent s’y plier. On retrouve cette crise chez les parents mais aussi chez ceux qui occupent une fonction de direction.
Il y a aussi des conséquences cliniques, de “nouvelles” névroses liées à la difficulté de se déprendre du maternel sans tiers (le névrosé classique est mécontent de son statut, le névrosé actuel refuse les conditions de l’existence).
J.-P. Lebrun finit en traçant des pistes pour l’action, tant au niveau de la place du psychanalyste qui doit être repensée (position différente du transfert, la neutralité bienveillante n’est plus de mise car elle se transforme en complicité malveillante), que d’un point de vue plus collectif en restaurant la légitimé de la différence des places.
Roland Gori, “La crise du récit et de l’expérience aujourd’hui. Conséquences pour la clinique”
R. Gori trace le contexte d’imposition du néo-libéralisme comme manière de penser le monde, qui peut être daté à l’effondrement du mur de Berlin (il n’y a alors plus d’alternative au monde libéral). Il décrit la domination d’une pensée quantitative et marchande, d’une rationalité instrumentale et économique. Une “folie évaluation” (c’est le titre de son dernier livre) s’impose dans tous les secteurs professionnels, selon des normes extérieures aux logiques métiers.
Ce contexte social substitue les protocoles standardisés à la mise en récit. La clinique s’en trouve empêchée. On passe de la clinique, du colloque singulier entre le malade et son médecin, à la “psychiatrie actancielle” (évaluation des risques) ou au réseau de santé, qui gère et même anticipe les risques.
R. Gori termine en ouvrant vers des postures de résistance à ce mouvement, notamment en faisant son travail par rapport à l’éthique qui l’a fondé.
Ces deux diagnostics et ces possibilités de résistance ou d’action ont fait écho pour beaucoup de professionnels du travail social dans la salle, confrontés tant aux effets de la crise de l’autorité qu’aux injonctions à l’évaluation, et ont suscité débat.
**Les plis singuliers du social : penser par cas dans les sciences sociales
Mercredi 20 mars 2013, 17h-19h – Annulée
Bernard Lahire – professeur de sociologie à l’École Normale Supérieure de Lyon, responsable de l’Équipe Dispositions, pouvoirs, cultures, socialisations du Centre Max-Weber (CNRS) et directeur de la collection “Laboratoire des sciences sociales” aux Éditions La Découverte
**La crise du récit et de l’expérience aujourd’hui. Conséquences pour la clinique
Mercredi 20 février 2013, 17h-19h
Roland Gori – professeur émérite de psychopathologie à l’Université d’Aix Marseille, psychanalyste, membre d’Espace Analytique, initiateur de l’Appel des appels
Photos : Victor-Georges Baranowski – 2013
**Penser l’articulation entre le social et le singulier
Mercredi 16 janvier 2013, 17h-19h
Jean-Pierre Lebrun – psychiatre et psychanalyste
Photos Brigitte Berrat – IRTS – 2013
Lieu & inscription
Amphithéâtre de l’Institut protestant de théologie – 83 boulevard Arago – 75014 Paris
Métro : Denfert-Rochereau ou Saint-Jacques
Entrée gratuite – Inscription obligatoire – Nombre de places limité
S’inscrire par mail
Comité d’organisation
Christine Arbisio, UTRPP Paris 13-SPC, Victor-Georges Baranowski, UTRPP Paris 13-SPC
Brigitte Berrat, IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne & Maître de conférences associée Université Paris 13-SPC
Michael Chocron, UTRPP Paris 13-SPC
Aurélie Maurin, UTRPP Paris 13-SPC
Anne Petiau, IRTS Ile-de-France Montrouge Neuilly-sur-Marne
Jean-Pierre Pinel, UTRPP Paris 13-SPC