Contes et travail social
L’enracinement est le besoin le plus important et le plus méconnu de l’âme humaine… Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l’existence d’une collectivité qui conserve vivants certains trésors du passé et certains pressentiments d’avenir.
L’enracinement, Simone Weil.
Les contes ont traversé les siècles et nous les retrouvons dans tous les points du globe. Ils ont une étonnante longévité alliée à un caractère universel avéré de longue date.
Les frères Grimm, philologues, savants et écrivains allemands, ont compilé les textes du folklore des paysans. Ils ont eux-mêmes baptisé les contes de fées la philosophie du rouet. Le rouet rappelle, d’une part, que les fileuses étaient souvent des conteuses dans les grandes assemblées de paysans. Et aussi, que les fées ont pour origine les Fatae, les Parques grecques qui tissaient la destinée des hommes.
Ainsi, les contes de fées sont des philosophies de la destinée humaine. Grâce à eux, nous comprenons mieux l’être humain dans la globalité de son parcours sur terre. C’est pourquoi, il est un médiateur bien prisé dans le domaine socio-éducatif.
Ces caractéristiques ont suscité les investigations de nombreux chercheurs. Les sciences humaines, notamment durant ces derniers siècles en Occident, ont réalisé des recherches fort passionnantes.
Les travailleurs sociaux exerçant dans le domaine socio-éducatif s’appuient sur ces recherches pour étayer leurs pratiques professionnelles avec les contes.
Afin de comprendre l’apport des contes dans les pratiques socio-éducatives, nous pouvons aborder dans les grandes lignes l’histoire des contes. Du fait de leur longévité exceptionnelle et leur universalité, pouvons-nous écrire une brève histoire des contes ?
Les recherches sur l’imaginaire nous interrogent sur celui-ci. L’imaginaire est-il une dimension incontournable de l’âme humaine ?
L’apport des psychanalystes, thérapeutes posent la question : les contes sont-ils une médecine de l’âme ?
Il était une fois… les contes – Quelques repères chronologiques
Il est difficile de dater les contes, ils viennent de la nuit des temps, sûrement depuis que l’homme est doué de parole.
Dans les écrits de Platon, on peut déjà lire que les vieilles femmes racontaient aux enfants des histoires symboliques. Déjà, à son époque, les contes de fées étaient mis en relation avec l’éducation des enfants.
A la fin de l’Antiquité, Apulée, philosophe et écrivain du IIe siècle après J.C, introduit dans son roman intitulé L’âne d’or, un conte Amour et Psyché.
Nous possédons des documents encore plus anciens sur les contes. Certains ont été découverts sur des stèles et des papyrus égyptiens. L’un des plus connus d’Egypte est le conte des deux frères.
Les romans de féerie apparaissent en Occident au XIIe siècle lors de la parution des Romans de la Table ronde. En Bretagne, les souvenirs de la mythologie celtique n’ont jamais été totalement oubliés. Des récits voient le jour et sont peuplés de fées, d’enchanteurs, de chevaliers aux pouvoirs surnaturels, de forêts et d’îles enchantées, de dragons, d’épées magiques. Ils ont été fermement condamnés par l’Église.
La tradition orale des contes de fées s’est transmise de bouche-à-oreille. Grâce aux progrès de l’imprimerie et de l’alphabétisation, les contes de fées deviennent un genre littéraire pour adultes. Dans les salons parisiens, des dames de la noblesse contaient par exemple, Cendrillon, le Chat Botté, la Belle au Bois Dormant.
De leur côté, les frères Perrault ont collecté les histoires du monde paysan et Charles Perrault en a fait une adaptation littéraire en 1697.
La France des Lumières, considérait l’irrationnel des traditions populaires comme des vestiges, des fragments éclatés d’une unité perdue. Au contraire, le philosophe allemand Johann Gottfried von Herder dénonçait la pensée unique sous-jacente aux philosophies de la lumière. Il souhaitait rétablir le rôle de l’imaginaire et de l’esprit populaire dans la vie de la société.
Les Romantiques, magnifiaient et transfiguraient le conte de fées, à travers la poésie, la littérature, la peinture, la musique. Ils ont également changé le regard sur l’enfance devenue l’âge de l’innocence, de la pureté, l’âge d’or.
Jacob et Wilhelm Grimm ont fondé la science moderne de l’étude des contes. Ils ont entrepris une démarche de reconstitution et de sauvegarde des traditions populaires et du folklore. Leur exemple a été suivi en Europe.
En France, les collecteurs et enquêteurs les plus célèbres ont été : Émile Souvestre, Paul Sébillot, Henri Pourrat.
En Russie, le recueil des contes d’Alexandre Affanassiev, réalisé de 1855 à 1863, est resté un modèle.
En Finlande, Anti Aarne a établi la notion de “conte-type”.
Lors de la première guerre mondiale, les fées, les lutins, les sorcières et les magiciens lassés de la folie de la vieille Europe ont traversé l’Atlantique et rejoint l’Amérique. Le nouveau monde a inventé sa propre mythologie en puisant ses sources dans les traditions européennes.
Le coup de génie d’un certain Walt Disney s’est caractérisé par l’importation de contes et légendes que l’Europe avait oubliés, ou auxquels elle ne croyait plus, pour leur redonner vie. Les fées ont alors élu domicile en Amérique.
Walt Disney, pionnier du cinéma, a puisé dans le matériau légendaire des contes de Perrault et de Grimm. Le public a pu admirer ces chefs-d’œuvre sur leurs petits écrans dans leurs foyers.
Walt Disney a fait également connaître en Amérique les chefs-d’œuvre de la littérature anglaise de la première moitié du XXe siècle. Ainsi, les étudiants américains de la génération hippie ont fait du Seigneur des Anneaux du professeur J.R.R. Tolkien – 1892-1992 – leur livre de chevet, lançant une “mode Tolkien” que le professeur aurait été bien en peine d’imaginer.
L’anglaise J.K. Rowling se doutait-elle que son premier roman : Harry Potter à l’école des sorciers aurait un tel succès international ? Et qu’il serait suivi de six autres romans et d’une pièce de théâtre ? L’univers de la magie et son exercice, les événements dramatiques, les créatures magiques et fantastiques, les plantes magiques, bref, tout un monde au cœur des contes traditionnels, ont constitué les ingrédients de l’incroyable succès de cette saga.
_ Le succès d’Harry Potter a coïncidé avec l’expansion d’Internet et du haut débit chez les jeunes, souligne Isabelle Smadja. Une formidable communauté s’est développée autour du roman, avec des sites, des forums… souvent extrêmement bien faits. Et si c’est Harry que nous avons choisi pour nous exprimer, c’est que l’histoire laisse volontairement place à énormément d’interrogations, d’interprétations et de débats, à la fois résolus et renouvelés à chaque tome. Ainsi se développe entre le roman, l’auteur et les lecteurs, une véritable interactivité. Interactivité encouragée par J.K. Rowling elle-même, qui distille des pistes de réflexion sur son propre site internet régulièrement mis à jour, et accorde des interviews aux jeunes créateurs de sites de fans. Chacun a sa propre idée sur l’évolution du roman, et les personnages qu’il souhaite sauver à tout prix de la mort.
Le conte et l’épreuve de la réalité
Le conte répète-t-il un scénario-type reflétant l’imaginaire de l’humanité en quête d’elle-même ?
Est-il un simple amusement ou révèle-t-il une aventure profonde ?
Pour Mircéa Eliade, historien des religions, le conte est un récit initiatique. En effet, il présente la structure d’une aventure infiniment grave, où le héros est soumis à des épreuves fortes : abandon de ses parents, ou mort prématurée de ceux-ci, rencontre avec des sorcières ou des monstres, travaux impossibles à accomplir, obstacles insurmontables.
La liste des épreuves est très longue. Toutefois, le héros triomphe toujours de ses épreuves. Nous assistons à de très encourageants dénouements : mariage avec la princesse, résurrection, victoires sur l’ennemi.
Le folkloriste hollandais Jan de Vries souligne, en effet, que le conte s’achève toujours par un happy end. Toutefois, son contenu porte sur une réalité très sérieuse : l’initiation. Jan de Vries définit l’initiation comme le passage, par le truchement d’une mort et d’une résurrection symboliques, de l’immaturité à l’âge spirituel de l’adulte.
Si le conte est un amusement ou une évasion, c’est pour la conscience banalisée de l’homme moderne. Mais dans la conscience profonde, les scénarios initiatiques conservent leur gravité et continuent à transmettre leurs messages, à opérer des mutations intérieures.
Finalement, sans s’en rendre compte, en croyant s’amuser ou s’évader, l’homme des sociétés modernes ne bénéficie-t-il pas encore de cette initiation imaginaire apportée par les contes ?
N’est-ce pas le rôle du conte de réactualiser, au niveau de l’imaginaire et de l’onirique, le sens des épreuves initiatiques ? Celles-ci, par le jeu de la vie et de la mort qu’elles impliquent et que chaque être traverse, ne sont-elles pas le révélateur de la nature humaine ?
Bruno Bettelheim compare les épreuves par quoi les héros du conte doivent passer à une initiation permettant d’évoluer :
Les contes […] signifient que si on veut affirmer sa personnalité, réaliser son intégrité et assurer son identité, il faut passer par une évolution difficile : il faut accepter des épreuves, affronter des dangers et gagner des batailles. Ce n’est que de cette façon que l’on peut maîtriser son destin et gagner son propre royaume. Ce qui arrive aux héros et aux héroïnes des contes de fées peut être comparé – et l’a été – aux rites d’initiation que le novice aborde avec toute sa naïveté et son manque de formation et qu’il quitte après avoir atteint un niveau supérieur qu’il ne pouvait imaginer au début de ce voyage sacré. Ayant obtenu sa récompense et son salut, le héros, ou l’héroïne, devient vraiment lui-même et digne d’être aimé.
La victoire sur les épreuves rencontrées ne suffit pas à achever le voyage. Les héros doivent encore retrouver leur chemin, et, dans l’élaboration du conte, la solidarité, l’appartenance à un groupe ne sont pas suffisants pour ce faire. Les jeunes trouvent la solution en utilisant un des auxiliaires du conte – la poupée, symbole de l’enfance. C’est en mettant en commun leur vécu de l’aventure que les héros parviendront à créer le mélange susceptible de les aider à trouver leur voie. C’est également en tenant compte de la parole de l’autre – ici, l’auxiliaire poupée – et en ayant confiance dans des expériences autres que la leur qu’ils réussissent leur quête.
Parce qu’ils garantissent que le royaume sera à lui, l’enfant est disposé à croire tout ce que les contes de fées lui apprennent par surcroît : que pour trouver son royaume, il faut quitter sa maison ; qu’il n’est pas immédiatement accessible ; qu’il faut prendre des risques et se soumettre à des épreuves, qu’on ne peut pas y arriver tout seul et qu’on a besoin d’auxiliaires.
Si le conte met en lumière notre condition humaine, ne révèle-t-il pas aussi la part d’ombre en chacun ?
Pour le sociologue Edgar Morin, il existe dans notre imaginaire un univers archaïque de doubles, de fantômes et leur aspect envoûtant vit en nous. Le vivant n’oscille-t-il pas entre le bien et le mal, l’obscur et le clair, le ciel et la terre, pour ne citer que quelques contraires. Le vivant est composé de contraires.
Pour Edgar Morin, les ombres sont inéluctables, mais, elles donnent sens à la vie. La communauté humaine partage la même condition : mêmes épreuves, douleurs similaires, impermanence.
Dans de nombreux contes, la part obscure de l’être humain est mise en scène. En effet, ils sont le théâtre de la cruauté, des excès affectifs de toutes sortes, de la douleur, de la mort. Par exemple, qui ne se souvient de la cruauté de la marâtre – dans le conte de Blanche-neige par exemple – dans les contes traditionnels ? La terrible marâtre, la cruelle sorcière nous exposent à la confrontation avec notre ombre : nos jalousies, nos méchancetés, nos lâchetés.
Et, d’autre part, quel enfant n’a jamais eu peur à l’arrivée du loup, représentant les forces maléfiques en soi ? Le loup et les sept chevreaux, Le petit chaperon rouge… et tant d’autres.
Cette confrontation avec soi-même est essentielle dans la démarche de la connaissance de soi. Le héros du conte dépasse ses ombres, se dépasse lui-même en entrant en relation avec son ombre, souvent par un travail jugé inabordable à première vue. Voilà Blanche-neige au service des nains. Simplet à la recherche des objets que son roi de père désire.
Le “bon” gagne l’amour de la princesse et le trésor et vit heureux pour toujours. Le “méchant” finit dans le malheur et la destruction. Pure fantaisie ? Ou bien pouvons-nous y lire l’indication de lois secrètes qui régissent l’univers distribuant à chacun ce qu’il lui faut pour vivre, évoluer ou mourir.
Rien ne résiste au héros empli d’amour pour sa quête. Cet amour pour sa quête, associé à une volonté sans faille, dilate le cœur et la conscience du héros qui n’est autre que nous-mêmes.
Pratiques professionnelles et conte
Le contexte général de ces témoignages se situe au sein d’une équipe pluridisciplinaire dans un service de protection de l’enfance en Ile-de-France, dans les années 2005–2010.
Après la loi de 2002-2 – rénovant l’action sociale et médico-sociale – le projet du service a été modifié. Désormais, la famille devenait actrice de son changement et de sa relation avec ses enfants. L’équipe pluridisciplinaire se mettait en recherche de nouveaux modes de relation avec les familles.
Ainsi est née l’idée de développer l’atelier contes qui fonctionnait déjà dans ce service, en l’adaptant. Il a été décidé d’inviter plus systématiquement les parents, qui, parfois restaient à l’atelier en accompagnant leurs enfants.
Dans le contexte contraignant de la mesure éducative judiciaire, nous désirions faire apparaître d’autres espaces : celui de la parole, de l’échange, d’un imaginaire commun, du partage des émotions, de la convivialité de groupe et aussi du loisir, en passant tout simplement du bon temps ensemble.
Peu à peu, s’est développée dans le service une activité ritualisée qui a duré plusieurs années. Nous nous inspirions de nos rencontres avec Jean-Pascal Debailleul qui organisait des stages sur la symbolique des contes de fées. Ses ouvrages, notamment Vivre la magie des contes nous ont guidés dans nos choix et ont élargi nos connaissances de l’humain en écho à nos découvertes sur le terrain.
A maintes reprises, le conte s’est révélé être un grand médiateur qui nous a parfois ouvert les portes de la magie dans la relation avec autrui.
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Les réussites humaines que la pratique du conte engendre
**Un atelier autour du conte Les musiciens de Brême de Grimm.
Ce célèbre conte met en scène de pauvres animaux, gravement malades, abandonnés à leur sort, tous à l’article de la mort. Ils se rallient à l’âne, lui-même condamné à mourir, mais qui a décidé de contrer sa mauvaise fortune en devenant musicien de la ville de Brême.
Et bien sûr, comme dans tout conte, nos amis vont être victorieux. Et même s’ils ne deviennent jamais musiciens à Brême, leur amitié est une symphonie où chacun joue sa partition avec brio. Le message central en est que l’union fait la force et ainsi, même le plus démuni peut trouver la fécondité dans sa vie.
Ce conte joyeux, plein de rebondissements, de bruitages a fait surgir l’hilarité de tous les participants, grands et petits, qui mimaient les sons de chaque animal. Il s’en est suivi un grand vacarme, bien sympathique. Les mères africaines, présentes lors de cette séance, riaient de bon cœur, entraînant ainsi tout le monde dans le rire. Ce fut un moment exceptionnel de joie simple partagé ensemble.
Un tel vécu convivial a changé les relations par la suite et la communication entre tous s’est fluidifiée. Au dire des travailleurs sociaux, les relations professionnelles se sont grandement améliorées, et ce, dans l’intérêt des enfants suivis.
**Nora, 6 ans
Resituons le contexte. La famille de Nora a fait l’objet d’un signalement à l’autorité judiciaire – Juge des enfants –, car la petite fille était en échec scolaire, refusant d’apprendre à lire et à écrire le français. Les parents, d’origine algérienne, étaient en froid avec l’école de leur enfant.
Il a été alors difficile pendant quelques semaines de rencontrer la famille qui, au début, refusait notre intervention.
En équipe pluridisciplinaire, nous avions analysé que le rejet scolaire dont semblait faire preuve la fillette pouvait provenir de la colère que son père exprimait contre notre pays. Il se disait malmené du fait de son chômage. Nora devait ressentir cette colère ou même entendre des paroles paternelles hostiles à l’égard de notre pays. Ainsi, apprendre le français n’était-ce pas manquer de loyauté envers son père qui souffrait ostensiblement et rendait notre pays responsable de son échec ?
La famille accepta de venir à l’atelier contes de la semaine. Les enfants avaient choisi Le petit chaperon rouge et un éducateur, très bon conteur, l’a raconté. Ce même éducateur, d’origine kabyle eut alors l’idée de raconter un conte traditionnel kabyle Le chêne de l’ogre tiré de l’ouvrage de Taos Amrouche, en disant rapidement qu’il s’agissait du “petit chaperon rouge algérien”.
Avec habileté, cet éducateur en racontant ces deux contes, permettait à l’assistance de s’enrichir de la complémentarité des patrimoines communs à l’humanité. Nora et sa famille y ont été sensibles. Cette séance a ouvert un espace de communication fédérateur qui a fait avancer la prise de conscience des parents du besoin de leur enfant : réconcilier son identité familiale pour s’intégrer dans la culture française. Nora a accepté de dessiner après les histoires, encouragée par ses parents. Étant davantage pacifiée, elle a fait des progrès à l’école. Les relations des parents avec l’école ont pu être travaillées et elles se sont également améliorées.
Le choix du conteur a fait l’essentiel. Le choix du conteur, écrit Taos Amrouche, est essentiel dès qu’il s’agit d’une histoire. C’est la beauté, la composition et l’authenticité même du récit qui sont en jeu ; une légende peut être appauvrie ou enrichie selon la personne qui perpétue la tradition, une légende étant l’œuvre d’une chaîne ininterrompue de conteurs à travers le temps.
La conclusion magique des contes kabyles mon conte est comme un ruisseau… je l’ai conté à des seigneurs est devenue désormais habituelle et marquait la fin de chaque conte, quelle que soit la provenance de celui-ci. En prononçant cette phrase, ou en l’entendant, nous avions l’impression d’être des seigneurs… Magie des bons conteurs.
**Amadou, 11 ans
Amadou est venu du Mali il y a tout juste 1 an. Il a 11 ans et est inscrit à l’école primaire. Sa mère, très malade, n’a pas la force de l’éduquer comme elle le souhaiterait. Il n’est pas toujours facile de comprendre la place et le rôle du père que nous ne verrons jamais, ne venant pas à nos rendez-vous.
Le signalement avait fait état de rupture avec le milieu scolaire et de faits de pré-délinquance d’Amadou – vol. Il faisait l’objet d’un suivi de la brigade des mineurs locale.
Amadou n’allait pas à l’école, disant qu’il s’y ennuyait. Lors de la prise du dossier, l’équipe avait réfléchi à des actions spécifiques de soutien scolaire. Il avait été décidé que l’éducateur-conteur chargé de son suivi éducatif viendrait le rencontrer à son domicile en lui proposant la lecture d’un conte. Il a fait la lecture à l’enfant du conte Le trésor du baobab adapté par Henri Gougaud.
Amadou a accepté cette proposition, apparemment content que quelqu’un vienne s’occuper de lui de cette manière. A la fin de la lecture du conte, l’éducateur, voulant tester la compréhension du garçon, lui a demandé de lui raconter à son tour l’histoire entendue. A la stupéfaction du travailleur social, Amadou a récité intégralement le texte, mot pour mot, sans rien omettre et restituant les mots difficiles.
Grâce à ce moment privilégié et à ce rapprochement, Amadou a parlé sans frein de ses difficultés existentielles : de sa mère en détresse, qui l’insécurisait, de sa peine d’avoir quitté le Mali où il trouve les gens plus jeunes et plus beaux qu’ici. Ici ils ont des visages vieux et tristes disait-il. Il a alors émis le souhait de revoir son oncle resté au Mali auprès duquel il a passé sa petite enfance. Il souhaitait vivre auprès de lui, comprenant que sa mère souhaitait rester en France, pour bénéficier de soins adaptés à son état de santé. Amadou a pu exprimer un souhait profond et le moment du conte a certainement dû y contribuer.
L’équipe éducative, s’appuyant sur l’expérience de l’éducateur, a pu évaluer ainsi tout le potentiel d’Amadou : intelligence, mémoire… Tout un potentiel qui s’étiolait ici où l’enfant état livré à lui-même.
L’oncle a pu être contacté et l’enfant a pris le chemin du Mali, avec l’accord et le soulagement de sa mère. Le retour au Mali, chez son oncle, a peut-être pu éviter à l’enfant des déboires plus sérieux en France.
Mon conte est comme un ruisseau, je l’ai conté à des Seigneurs.
Bibliographie
– L’enracinement, Simone Weil, Champs Classiques, Flammarion, 2014
– Vivre la magie des contes, J.P. Debailleul, Albin Michel, 1998
– L’arbre aux trésors, Henri Gougaud, Éditions du Seuil, 2014
– Aspects du mythe, Mircéa Eliade, Folio Essais, Gallimard 2002
– Initiation et sagesse des contes de fées, Dennis Boyes, Albin Michel, 1988
– Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim, Pocket, 1999
– L’interprétation des contes de fées, Marie-Louise Von Franz, Albin Michel, 2007
– Mythes, rêves et mystères, Mircéa Eliade, Folio Essais, Gallimard, 2002
– Harry Potter, les raisons d’un succès, Isabelle Smadja, PUF, 2001
– Le grain magique, Taos Amrouche, La Découverte, 2007